En kay krié Papaw!
Une de mes premières surprises, en étudiant les dossiers des patients de Montéran, fut l'importance, en nombre, des patients présentant un délire à thématique mystique.
La deuxième, et non la moindre, dans mes premiers entretiens, fut la difficulté à reconstruire avec les patients, leur histoire familiale. Un élément semble, fréquement, absent: le père.
La famille guadelouéenne semble construite en l'absence de celui-ci. Ce phénomène semble courant, quelque soit la tranche d'âge à laquelle on s'adresse... La déclinaison de cette absence se fait de toutes les manières possibles au travers des paroles des patients:
"Je n'ai jamais connu mon père".
"Je porte le nom de ma mère".
"Nous sommes (dans la fratrie) tous de père différent"
"J'ai été élevé par le (les) compagnon(s) de ma mère"...
Et Dieu, dans tout ça? La ferveur religieuse s'affiche partout. De nombreuses représentions religieuses, de toutes obédiences, de toutes natures s'offrent (ou s'imposent) au regard de celui qui veut bien les remarquer:.églises, temples, salles de prières et de rencontres, calvaires.... La référence spirituelle transpire de toute part...
Le recours aux pratiques "soignantes" magiques: bains d'herbes et autres; la littérature antillaise si colorée dans son écriture... tout fait référence à l'absence, à l'inexplicable, au non-dit..., à l'imaginaire, au spirituel.
Quel lien me direz-vous entre cette absence et cette présence?
Je pense que c'est Raymond Houtin, professeur d'histoire, au travers de son dernier ouvrage ("La population de Guadeloupe , de l'émancipation à l'assimilation", Ibis Rouge Editions), et la présentation qu'il en a fait ce dernier vendredi qui m'a, peut-être, donné le lien... (Il faudra que je puisse lui en parler)... C'est, en tout cas à partir de ce qu'il a dit ce soir là, que me sont venues ces réflexions...
Il évoquait son enfance, les paroles de sa mère, lui promettant le retour du père, pour régler tel ou tel problème d'éducation... avec des phrases du genre: "Tu verras ton père... quand il sera là" . En créole, ça chante, ça frappe, ça prend sens bien plus fort...:
- "En kay fé krié Papaw!" (Je vais faire appeler ton Père!)
- "En kay krié Papaw!" ( Je vais appeler ton Père!)
- "Marie, ay krié papaw!" (Marie, vas chercher ton Père!)
De ce père, dont on dit partout en Guadeloupe qu'il n'est pas là, dans sa famille, à sa place; Raymond Houtin soutient le contraire: il est là, présent, dans les paroles de la mère, présent dans son absence, comme une force invisible, mais d'une puissnce active et efficace.
Et, l'écoutant parler, le lien s'est fait de lui même: ce père, n'est-il pas, symboliquement, assimilable au Père, à ce(s) Dieu(x) si présent(s) en Guadeloupe, au travers des églises officelles ou non, au travers de ces pratiques mystico-magiques?
Et n'est-ce pas, partiellement, une des clés de ces délires magiques et mystiques, mégalomaniaques et cosmiques qui hantent la pensée des patients de l'hôpital Montéran?
Ne peut-on pas, également, faire le lien avec les scènes du Carnaval, où les "Mas" initient les plus jeunes à endosser, symboliquement, ces représentions du père, à les "initier" à une culture de l'imaginaire qui se relie imanquablement à une réalité sociale et historique?