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Publié par Thierry Meyer

Une de mes premières surprises, en étudiant les dossiers des patients de Montéran, fut l'importance, en nombre, des patients présentant un délire à thématique mystique.

La deuxième, et non la moindre, dans mes premiers entretiens, fut la difficulté à reconstruire avec les patients, leur histoire familiale. Un élément semble, fréquement, absent: le père.

La famille guadelouéenne semble construite en l'absence de celui-ci. Ce phénomène semble courant, quelque soit la tranche d'âge à laquelle on s'adresse... La déclinaison de cette absence se fait de toutes les manières possibles au travers des paroles des patients:

"Je n'ai jamais connu mon père".

"Je porte le nom de ma mère".

"Nous sommes (dans la fratrie) tous de père différent"

"J'ai été élevé par le (les) compagnon(s) de ma mère"...

Et Dieu, dans tout ça? La ferveur religieuse s'affiche partout. De nombreuses représentions religieuses, de toutes obédiences, de toutes natures s'offrent (ou s'imposent) au regard de celui qui veut bien les remarquer:.églises, temples, salles de prières et de rencontres, calvaires.... La référence spirituelle transpire de toute part...

Le recours aux pratiques "soignantes" magiques: bains d'herbes et autres; la littérature antillaise si  colorée dans son écriture... tout fait référence à l'absence, à l'inexplicable, au non-dit..., à l'imaginaire, au spirituel.

Quel lien me direz-vous entre cette absence et cette présence?

Je pense que c'est Raymond Houtin, professeur d'histoire, au travers de son dernier ouvrage ("La population de Guadeloupe , de l'émancipation à l'assimilation", Ibis Rouge Editions), et la présentation qu'il en a fait ce dernier vendredi qui m'a, peut-être, donné le lien... (Il faudra que je puisse lui en parler)... C'est, en tout cas à partir de ce qu'il a dit ce soir là, que me sont venues ces réflexions...

Il évoquait son enfance, les paroles de sa mère, lui promettant le retour du père, pour régler tel ou tel problème d'éducation... avec des phrases du genre: "Tu verras ton père... quand il sera là" . En créole, ça chante, ça frappe, ça prend sens bien plus fort...:

- "En kay fé krié Papaw!" (Je vais faire appeler ton Père!)

- "En kay krié Papaw!" ( Je vais appeler ton Père!)

- "Marie, ay krié papaw!" (Marie, vas chercher ton Père!)

De ce père, dont on dit partout en Guadeloupe qu'il n'est pas là, dans sa famille, à sa place; Raymond Houtin soutient le contraire: il est là, présent, dans les paroles de la mère, présent dans son absence, comme une force invisible, mais d'une puissnce active et efficace.

Et, l'écoutant parler, le lien s'est fait de lui même: ce père, n'est-il pas, symboliquement, assimilable au Père, à ce(s) Dieu(x) si présent(s) en Guadeloupe, au travers des églises officelles ou non, au travers de ces pratiques mystico-magiques?

Et n'est-ce pas, partiellement, une des clés de ces délires magiques et mystiques, mégalomaniaques et cosmiques qui hantent la pensée des patients de l'hôpital Montéran?  

Ne peut-on pas, également, faire le lien avec les scènes du Carnaval, où les "Mas" initient les plus jeunes à endosser, symboliquement, ces représentions du père, à les "initier" à une culture de l'imaginaire qui se relie imanquablement à une réalité sociale et historique?  

 

 

 

 

 

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P
j'ai découvert le monde mono-parentale en guadeloupe , mais pas dans le sens en europe que nous connaissons bien.Effectivement les enfants sont élevés par leur mère, ces femmes sont de poteau-mitan, elles sont admirables , fortes et travailleuses!si j'ai bien compris, l'article 12 du code noir est toujours en vigueur aux antilles, depuis l'époque de l'esclavage!oups! le sujet est vaste et fort interressant!
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G
<br /> Non, l'article 12, comme tous ceux du "Code Noir", a été heureusement aboli!<br /> Par contre, les rapports entre les hommes et les femmes restent, encore, fortement marqués de cette triste époque!<br /> "Pas de maitre" semblent affirmer certains, par leur comportement!<br /> <br /> <br />
K
C'est très intéressant ce que tu évoques quant à l'absence du père dans la société guadeloupéenne et cette dernière laisse souvent des brèches irréparables dans la vie d'adulte de ceux qui la subisse. Doudou, mon conjoint, a gardé son père près de lui mais aucune connivence familiale, aucun complicité père/fils, son père prenant le fait d'avoir des enfants (ils sont 7 chez Doudou) comme une preuve de virilité plus qu'une recherche de liens de paternité. Doudou en souffre profondément et cela l'atteint souvent dans sa réflexion de père avec notre fille. Il est cependant génial avec elle, très protecteur et le plus présent possible, sans doute, une façon à lui d'aller contre le sort... et malheureusement, cette situation est aussi un constat familial de père en fils chez lui... Je ne sais pas ce que tu en penses mais je trouve cependant qu'en Gwada, il y a une grosse sission entre les hommes et les femmes, les uns d'un côté, les autres de l'autre...
Répondre
G
<br /> Ouh là là.... Que de choses dans ce que tu dis là, si riches, si vraies.... Ce pourrait être l'objet de longues soirées de discussion, au coin du feu ou sous un cocotier....<br /> Il y a la question de la place ( présence) du père, de sa fonstion, de comment il peut le vivre dans la société d'aujourd'hui et dans son histoire pesonnelle et familiale...<br /> Quant à l'évolution (ou les évolutions) de hommes et des femmes dans la sociétié guadeloupéennes actuelles... j'ai peur que celà se fasse à plusieurs vitesses, et que les moments de conflits ne<br /> soient pas loin.... <br /> <br /> <br />